La bonne facture éthique du marché suisse
En matière de durabilité et de normes ESG, les entreprises suisses présentent d’excellents résultats, renforçant ainsi leur attrait auprès d’investisseurs de plus en plus sensibles à ces critères.
Interview de Guy Charlet, CFA, CAIA
Gérant Actions Suisses, Banque Piguet Galland
Après avoir débuté son parcours professionnel dans l’audit, Guy Charlet s’est consacré à la gestion d’actifs. D’abord analyste puis gérant de fonds à la banque Lloyds, il est entré en 2005 à la banque Piguet Galland, après avoir obtenu son CFA. Pour Piguet Galland, il gère aujourd’hui les fonds Actions Amérique du Nord et Actions Suisse. Il est également responsable du certificat Helv-Ethic, lancé cet été par la banque Piguet Galland, en partenariat avec la fondation Ethos.
Où en sont les entreprises suisses en matière de durabilité?
Guy Charlet : Globalement, les sociétés suisses affichent un bilan solide en termes de responsabilité sociale et se trouvent très peu présentes dans les domaines sensibles comme les OGM, le nucléaire, le charbon, l’armement ou le tabac. Autrement dit, le marché suisse semble par nature de bonne facture éthique. Le plus important, c’est que les dirigeants d’entreprises ont pris conscience du fait que la mise en place de mesures visant à améliorer l’impact sur l’environnement, à favoriser les bienfaits sociaux et à élever la qualité de la gouvernance, comportait des avantages financiers. Elle permet également de réduire les risques de réputation qui peuvent s’avérer très onéreux. Il suffit de songer par exemple à la catastrophe du Deepwater Horizon impliquant BP ou au Dieselgate de Volkswagen.
Comment expliquez-vous qu’elles soient si avancées dans ce domaine?
De nombreux organismes oeuvrent activement au développement de la finance durable en promouvant ses bienfaits par le biais de conférences et de publications. En outre, des acteurs comme la fondation Ethos jouent un rôle important au niveau des assemblées générales. Ils exercent parfois une influence déterminante dans le droit de vote, contribuant à améliorer le gouvernement d’entreprise dans le meilleur intérêt de ses actionnaires. Les banques suisses, qui ont dû se reconstruire au cours de ces dernières années, voient dans la finance durable l’opportunité de répondre à la demande émergente des nouvelles générations sensibles à une finance plus responsable. En investissant davantage avec un filtre éthique, elles incitent les entreprises à adopter de meilleures pratiques.
Existe-t-il des standards qui se dessinent pour stigmatiser de plus en plus les entreprises qui ne jouent pas le jeu du développement durable?
Il faut tout d’abord distinguer d’une part les standards adressés aux entreprises et d’autre part les critères de sélection éthique destinés aux investisseurs, qui peuvent parfois s’apparenter à des lieux communs. C’est sans aucun doute une bonne chose que de s’accorder sur les grands principes devant motiver la conduite des entreprises et de pouvoir ensuite mesurer les progrès réalisés en termes de responsabilité sociale sur la base d’indicateurs standardisés. Les Nations Unies ont édité un programme pour le développement qui illustre cette exigence. Du côté de l’investisseur, par contre, il faut impérativement préserver le pluralisme éthique, autrement dit la sensibilité morale de chacun. Un investisseur qui souhaite investir de manière durable sans bannir, par exemple, le nucléaire de ses portefeuilles, se verra bien souvent imposer un filtre qui le privera de cette liberté. L’éthique n’est pourtant pas un diktat comme nous le rappellent les grands philosophes dans leurs théories morales. Les déontologistes excluront plus systématiquement des éléments qu’ils jugent contraires à une norme, invoquant par exemple le besoin de préserver la dignité humaine face au risque d’accident nucléaire ou aux problèmes des déchets pour les générations futures. Les utilitaristes chercheront le plus grand bien du plus grand nombre et feront une analyse coûts-bénéfices pour évaluer ces risques au regard d’autres bienfaits, comme celui d’un meilleur bilan CO2. Dans tous les cas, il me semble indispensable de pouvoir guider l’investisseur en lui laissant une liberté morale sans chercher à lui imposer des normes toutes faites.
« Les nouvelles générations ne veulent plus seulement investir pour un rendement ou une performance, mais elles veulent exprimer des valeurs au travers de leurs investissements. »
Quelles sont les principales motivations des entreprises à intégrer ces approches ESG?
Une entreprise moderne et responsable est une entreprise qui réfléchit sérieusement à son impact sur l’environnement, la société et ses actionnaires. Je suis persuadé que dans un proche avenir, les critères ESG seront un critère systématique des analystes et que les entreprises qui les boudent se traiteront avec une décote sur le marché. L’effort des bons élèves sera donc mieux récompensé à terme.
En Suisse, quelles sont les entreprises qui se distinguent plus particulièrement?
Geberit et Givaudan en particulier ont élaboré une stratégie durable très complète qui se matérialise par des rapports de durabilité détaillés selon des normes exigeantes. Givaudan oeuvre pour la biodiversité, tandis que Geberit réfléchit à une meilleure utilisation de l’eau. Par exemple, la première prévoit d’utiliser une électricité 100% renouvelable d’ici 2025, tandis que la seconde est l’une des rares sociétés dont le conseil d’administration est payé en actions, alignant par là-même les intérêts des différentes parties.
En termes de performance, les ratings ESG influent-ils sur la performance des titres?
Les résultats des études sont très dépendants des échantillonnages et des périodes choisies, mais il est juste de dire qu’actuellement les performances sont globalement comparables. A l’avenir, la discrimination en faveur des ISR devrait se faire davantage sentir. L’un des arguments à l’encontre des ISR est le manque de diversification. C’est erroné de mon point de vue puisque l’éthique, on l’a vu, est davantage une question de comportement de l’entreprise plutôt que d’appartenance à un secteur.
Les investisseurs sont-ils sensibles à ce biais ESG?
Les nouvelles générations ne veulent plus seulement investir pour un rendement ou une performance, mais elles veulent exprimer des valeurs au travers de leurs investissements. Les ISR représentent des valeurs universelles qui sont l’opportunité pour les banques de créer un lien plus fort avec ses clients, d’autant que les performances devraient parler plus clairement en faveur des ISR.